POLITIQUE – Précédemment de gauche : Jean-Luc Mélenchon a dominé la course au premier tour de l’élection présidentielle. Alors que 22 % sont récoltés dans la nuit du 10 avril, le chef de file de la France révolutionnaire tente de nouer des alliances avec ses anciens rivaux – tous en dessous de 5 % – à l’approche des élections législatives de juin. La cible? Réparez-le, réduisez le risque de candidatures fratricides, dominez l’Assemblée nationale et enfin, imposez la cohabitation au président de la République, dont on sait désormais qu’il sera Emmanuel Macron. Dans ce tableau, figure le chef Insumis qui va s’installer à Matignon dans les habits du premier ministre. Clair… mais le moins ambitieux, tant il y a de cases à espérer pour un tel épilogue le 24 juin. En attendant, l’heure est aux négociations intenses entre les différentes formations de gauche, entre mariage d’opportunité et clivages fondamentaux, progrès historiques et bouleversements inattendus. Retour sur une série digne de Baron Noir ou Les Feux de l’amour qui compte déjà plusieurs épisodes.

Épisode 1. Planète rouge et ligne verte

Entre écologistes et France insurgée, le flirt commence avant le premier tour de l’élection présidentielle. Nous sommes en plein mois de mars 2022, plusieurs cadres de LFI adressent une lettre à leurs homologues EELV pour leur proposer un soutien dans quinze circonscriptions en échange d’une non opposition au sortant, ce qui ressemble à un pacte de non-agression. Un premier contact resté lettre morte. Sans rancune, les discussions passionnées commencent vraiment un mois plus tard, pendant les pauses. Heureux, les deux camps sont entraînés, puis dérangés, avant que les choses ne soient réglées. Aux dernières nouvelles, vendredi 29 avril, Julien Bayou, le secrétaire national d’EELV, parle d’un accord “dans les prochaines heures” quand Jean-Luc Mélenchon, ce samedi, a exprimé son souhait de voir les négociations aboutir demain, dimanche. C’est pourquoi le patron des écologistes se dit prêt à mettre de côté certains dossiers épineux, par exemple les relations internationales, pour ne pas déboucher sur un divorce précoce entre Insumi, partisans de la désobéissance européenne, et EELV, une famille qui a la parole. « L’Europe » jusque dans son nom. Et cela, quitte à découvrir plus tard certaines positions Insumi. Dans ce contexte, les prochaines saisons de ce mariage d’opportunité attendu pourraient avoir leur lot de bouleversements.

Épisode 2. Le “non” de la rose

Les gourmands. Après des rencontres bilatérales avec les écologistes, le NPA ou les communistes – avec qui ça va le mieux -, les troupes de Jean-Luc Mélenchon se tournent désormais vers le Parti socialiste. Une approche historique et quelque peu inattendue, tant les deux familles sont à couteaux tirés depuis des décennies. Consciente du rapport de force actuel – de 1,7 % d’Anne Hidalgo à l’élection présidentielle – la direction du Parti socialiste, incarnée par Olivier Faure, a fait un bond en avant dans la matinée du vendredi 29 avril, expliquant avoir participé à les grandes lignes du programme ont été défendues par Jean-Luc Mélenchon. C’est par exemple l’augmentation du Smic à 1400 euros nets par mois, la retraite à 60 ou la VIe République. Mais entre les roses et les rebelles, le ressentiment n’est jamais loin. Exemple quelques heures plus tard : les négociateurs du PS suspendent les pourparlers vendredi après-midi, appelant leurs homologues à “casser toute logique hégémonique”. Autrement dit : une alliance, oui, mais dans le respect de toutes les parties.

Episode 3. Les ténors résistent

Ces épisodes de négociations sont aussi marqués par le retour des « anciens », ou la résistance des ténors. Le plus actif est, sans aucun doute, François Hollande. Jeudi 28 avril, l’ancien président socialiste s’invite à la matinale de franceinfo pour exprimer toute son inquiétude quant à la future – éventuelle – alliance entre sa famille et Jean-Luc Mélenchon. Quiconque se voit jouer un rôle dans la réorganisation de la gauche craint la “disparition” du Parti socialiste. Et qu’on le sache. Hormis François Hollande, tout un courant minoritaire, parmi les roses du PS, s’oppose aux discussions avec Insumi. Certains veulent s’armer de patience pour ne pas donner l’impression de tomber dans la gueule du loup alors que d’autres s’y opposent profondément sur des questions de fond. Au point d’agacer le patron. “Allez-vous-en”, lui a répondu Olivier Faure, premier secrétaire dans un cabinet politique, mardi 26 avril. Les réseaux sociaux jouent également un rôle dans cette série. Carole Delga, la présidente du PS en région Occitanie, critique la tournure des événements en mentionnant Pierre Mendès France sur Twitter, quand Anne Hidalgo la poste comme sur un plan Plantu dépeignant la France insoumise du Kremlin qui veut avaler le cercueil socialiste. Badge. Dans le même temps, chez les écologistes, c’est Yannick Jadot qui semble jouer le rôle du poil qui gratte. Sur France Inter mardi, il a expliqué son scepticisme face au “troisième tour” proposé par Insoumis et souligné, selon lui, qu’une coalition derrière les tribunes des 70 ans “ne fonctionnera pas”. Mélancolie du premier ministre ? “Chiche”, répond Julien Bayou le lendemain sur Libération. Un ping-pong intérieur qui révèle les polémiques autour de chaque camp au fur et à mesure qu’il tourne vers l’extérieur.

Épisode 4. Un cirque nommé Désir

Après les questions clés, il y a une autre question délicate : celle de la répartition des circonscriptions où les partis de gauche gagneraient mieux aux élections législatives. Frustré par le découpage proposé par Insumis, Julien Bayou n’hésite pas à concevoir le tableur Excel devant les journalistes pour en exiger plus. La scène se passe le mercredi 27 avril, lorsque le patron des Verts organise une conférence de presse pour “jouer la transparence” et expliquer en substance et justifications que les Insumi sont très gourmands et ne laissent que des miettes à leurs camarades. Un exercice sous-estimé à LFI, à l’heure où, accessoirement, Sandrine Rousseau faisait les frais de ces discussions. Selon Mediapart, l’écoféministe avait, dans un premier temps, tout simplement disparu de l’accord entre les deux partis. Ella a alors montré qu’elle serait candidate dans la 9e circonscription de Paris, quoi qu’il arrive. Les tensions se sont apaisées et les écologistes sont finalement revenus à la table des négociations deux jours plus tard, vendredi en fin d’après-midi. Ne plus jamais la quitter ? Les deux camps sont optimistes. Il ne reste plus qu’à convaincre les négociateurs socialistes, eux aussi mécontents, de la première version de la répartition des circonscriptions proposée par Insumi.

Épisode 5 : Le temps du muguet

Le prochain épisode de ce feuilleton quotidien est encore flou. De nombreux protagonistes de cette histoire attendent un épilogue pour ce week-end. Julien Bayou le prédit, Jean-Luc Mélenchon dit l’espérer et Fabien Roussel propose un parcours commun pour la manifestation ouvrière du 1er mai. Si l’accord n’est pas trouvé à cette date, le mardi 3 mai, jour anniversaire du Front populaire, pourrait aussi porter sa part symbolique. “La photographie de famille n’est pas en cause !”, a déclaré Jean-Luc Mélenchon dans une interview au Journal du Dimanche. Pourtant, l’image de Sandrine Rousseau, Yannick Jadot, Julien Bayou, Olivier Faure, Fabien Roussel, Philippe Poutou, Jean-Luc Mélenchon réunis derrière une même banderole ou banderole donnerait fière allure à la prochaine saison de Lumières de la gauche. Style Vengeurs. À lire aussi Le HuffPost : La Macronie ne tarde pas à frapper à nouveau Mélenchon