Posté à 17h00
                Fanny Lévesque La Presse             

(Sept-)les) Une addiction qui coûte une fortune

Une tornade ininterrompue tourbillonne autour du quartier général à l’étage de l’hôpital, au deuxième étage. Comme dans un ballet effréné, chaque soignant s’affaire au travail. PHOTO JULIEN CHOQUETTE, COOPÉRATION SPÉCIALE « Heureusement qu’on les a », souffle Jesse Rogers en complétant un dossier. L’Escorte Jeune Bénéficiaire (PAB) parle de travailleurs d’agences de placement qui sont venus principalement du Grand Montréal pour aider. « Je n’en ai jamais vu autant », ajoute celui qui travaille au CISSS de la Côte-Nord depuis trois ans. PHOTO JULIEN CHOQUETTE, COOPÉRATION SPÉCIALE Jessy Rodgers, préposée aux bénéficiaires Un coup d’œil suffit pour constater la diversité culturelle dans les couloirs de l’hôpital de Sept-Îles, une ville où le pourcentage d’immigrants est inférieur à 2 %. Ce jour-là à l’étage, parmi les 11 PAB, 10 viennent d’agences, des travailleurs appelés dans la terminologie de la main-d’œuvre indépendante (ME). “Les escortes sont ce qui manque le plus. […] On passe de 75 à 100% d’employés MOI selon les jours. C’est énorme », a déclaré Nathalie Boulet Fournier, chef des services de santé. Pour les infirmiers et aides-soignants, ce pourcentage tourne autour de 40 à 60 %. PHOTO JULIEN CHOQUETTE, COOPÉRATION SPÉCIALE Nathalie Boulet Fournier, chef des services infirmiers Pour nous, la main-d’œuvre indépendante est vraiment nécessaire pour maintenir le service. Si on l’enlève demain matin, c’est impossible à opérer, on ne peut pas offrir le service, c’est clair. Nathalie Boulet Fournier, chef des services infirmiers Un étage plus bas, en cas d’urgence, le scénario est le même. Le mardi précédant la visite de La Presse, sur les huit infirmières de garde, six provenaient des agences. «S’il n’est pas là, je suis hors service et l’urgence de Sept-Îles ne fonctionne pas. C’est à ce moment-là », résume en quelques mots la responsable des soins intensifs, Joëlle Gagné. PHOTO JULIEN CHOQUETTE, COOPÉRATION SPÉCIALE Joëlle Gagné, chef des soins intensifs à l’Hôpital de Sept-Îles Le CISSS de la Côte-Nord, comme d’autres établissements en régions plus éloignées, a été durement touché par le manque de personnel. A partir de 2018, le recours aux agences a littéralement explosé et creusé le déficit. «Chaque année est une année record, souligne Jean-Philippe Comtois, directeur des ressources financières. Le déficit prévu pour 2021-2022 devrait atteindre un niveau record de 65 millions de dollars. Entre 65 et 70% de ce déficit attendu s’explique par le recours au travail indépendant. Jean-Philippe Comtois, directeur des ressources financières, CISSS de la Côte-Nord Un retour à l’équilibre budgétaire est difficile à prévoir sans réduction des services. Le phénomène de dépendance au travail indépendant a été exacerbé par la pandémie, mais la tendance à la hausse était évidente depuis longtemps. Les salariés en agence sont désormais présents dans presque tous les secteurs, ce qui n’était pas le cas il y a trois ans. On ne parle plus seulement des PAV et des infirmières, mais aussi des travailleurs sociaux et des éducateurs spécialisés. Des domaines tels que le Ministère de la Protection de la Jeunesse (DPJ) ne font pas exception. Il y a aussi des agents de sécurité, du personnel d’entretien et même du personnel de bureau. « Elle ne tient qu’à un fil », affirme Sonia St-Louis, directrice adjointe des programmes de déficience mentale, de troubles du spectre autistique et de déficience physique. Nous avons juste eu des épidémies. […] Il y a des gens qui font des heures supplémentaires incroyables, on accepte les urgences parce qu’on n’a pas d’autre choix. Si nous avons une panne de service, nous ne pouvons pas garder nos utilisateurs à la maison. » Dans les résidences pour troubles graves du comportement de Sept-Îles et de Baie-Comeau, les employés proviennent désormais « majoritairement » du MOI, ce que les gestionnaires ont tenté d’éviter en raison du niveau de soins et d’intervention. “Nous ne le savions pas il y a quatre ans”, a déclaré St-Louis.

Recrutement à 148$ de l’heure

Le CISSS de la Côte-Nord estime que le service d’une infirmière coûte environ 148 $ de l’heure, incluant les frais de déplacement et d’hébergement. À titre de comparaison, une infirmière technicienne du CISSS coûte entre 34,33 $ et 55,05 $ de l’heure, incluant les avantages sociaux. “Il y a vraiment une corrélation directe entre l’augmentation vertigineuse du recours au travail indépendant et l’augmentation de notre déficit ces dernières années. […] s’explique par la différence de coût d’un MOI », explique le directeur des ressources financières M. Comtois. La Côte-Nord n’a pas non plus pu “bénéficier” de l’arrêté ministériel, qui visait à réduire les tarifs des agences pendant la pandémie. L’ordonnance, toujours en vigueur, interdit à une agence de facturer un taux horaire supérieur à 71,87 $ pour les soins d’une infirmière, par exemple. Une clause devait être ajoutée au décret permettant une augmentation de 20 % des tarifs maximaux pour une liste de sites, comme la Côte-Nord, afin d’éviter que les agences refusent de s’y déplacer. Le décret permet également une exonération du paiement des frais de déplacement du salarié ainsi que de ses frais de séjour. “Tout le monde veut réduire l’utilisation des MOI. “C’est un problème complexe”, a-t-il dit. Après tout, c’est toute la population du Québec qui paie pour un service qui n’est pas nécessairement différent de celui qui peut être offert sur le réseau public. Il y a un tour de roue qu’il faut refaire pour se retrouver [des solutions]. Jean-Philippe Comtois, directeur des ressources financières, CISSS de la Côte-Nord L’explosion du recours aux agences a des “effets relatifs” dans tous les quartiers de la colonie. “Que ce soit pour les finances ou pour les ressources humaines, ceux qui traitent les factures ou pour la planification des vols, les transports […] est un phénomène qui pèse sur le projet dans son ensemble, mais qui est nécessaire pour nos services. » Parfois, même le recours à des agences ne suffit pas. Au cours des derniers mois, des réductions de services ont été nécessaires aux urgences de Port-Cartier, au CLSC de Minganie et dans certaines parties de Sept-,les notamment. Selon les données du MSSS, le CISSS de la Côte-Nord se classe au quatrième rang des entreprises qui dépensent le plus pour l’embauche de travailleurs autonomes, derrière le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, la Capitale-Nationale . et le CISSS des Laurentides. Signe que les prix sont beaucoup plus élevés dans la région, le CISSS de la Côte-Nord obtient trois fois moins d’heures de travail que les autres pour les mêmes coûts. Dans l’ensemble du réseau de la santé, le coût de recours aux agences a plus que doublé en raison de la pandémie, passant de 443 millions de dollars en 2019-2020 à 1 milliard de dollars en 2020-2021. Le ministre délégué à la Santé, Christian Dubé, vise à réduire la dépendance du réseau aux agences de placement.

Charge de gestion

Bien que ces employés fournissent une aide utile sur le terrain, ils augmentent le fardeau de la direction. Lors du traitement, par exemple, la chef Nathalie Boulet Fournier doit s’assurer de la présence d’une infirmière…